La caricature et la satire comme modalités licites d’exercice de la liberté d’expression

La caricature et la satire sont-elles protégées par la liberté d’expression ?

La liberté d’expression est consacrée par les textes constitutionnels, internationaux et européens.

La liberté d’expression a été tout d’abord établie par la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 qui dispose que : « la libre communication des pensées et des opinionsest un des droits les plus précieux de l’homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ».

La liberté d’expression est aussi protégée par l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948 qui dispose que « tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit ».

L’article 10 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme pose aussi le principe selon lequel : « toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idéessans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorité publiques et sans considération de frontière ».

Le terme caricature vient de l’italien caricare qui signifie charger, exagérer.

La caricature est ainsi un portrait peint, dessiné ou sculpté qui amplifie et exagère de manière humoristique certains traits physiques caractéristiques d’une personne comme métaphore d’une idée.

Elle vise donc à mettre en évidence divers caractères physiques ou moraux grâce à l’accentuation du trait et à sa force de simplification.

La caricature est un type de satire graphique ou dessin polémique qui déforme, parodie, raille, ridiculise, dénonce une situation ou le comportement d’une personne ou d’un groupe social qui a une fonction politique, de propagande, polémique, de critique sociale, de divertissement mais aussi d’humour.

La caricature est devenue un art de la subversion qui fait preuve d’un irrespect sans limite afin de faire réagir, de déranger les idées, d’éveiller l’esprit critique des lecteurs ou de faire débat.

Ainsi, une caricature ne se lit pas simplement au premier degré mais invite le lecteur à réfléchir à aller plus loin que la simple lecture de l’image.  

On pourrait dire que la caricature s’inscrit dans une sorte de subtil dialogue intellectuel entre son auteur et son spectateur et selon les lectures que l’on peut ce dernier peut en faire.   

L’essor de la caricature politique en France est concomitant aux périodes de crises sociales et politiques telles la Révolution française ou l’affaire Dreyfus.

La naissance de Charlie Hebdo en 1969 est liée à l’histoire de son prédécesseur, le mensuel satirique Hara-Kiri.

En effet, depuis 1960, le « journal bête et méchant » fondé par François Cavanna et Georget Bernier, alias Professeur Choron, bouleverse les canons du journalisme traditionnel.

Selon François Cavanna, le titre suicidaire de ce mensuel est un « cri de défi lancé à la face des gens ».

Selon ce dernier, « un bon dessin, c’est un coup de poing dans la gueule ! ».

Ces publications agressives dénoncent les tabous, accusent et se moquent de tout sur un ton extrêmement caustique.

La lecture d’une caricature suppose donc un certain nombre de compétences (culturelle, rhétorique, logique ou linguistique) et des capacités d’abstraction pour comprendre les allusions historiques et culturelles, les codes et les symboles.

Les satiristes de ce journal comme Francis Blanche, Topor, Reiser, Wolinski, Gébé, Cabu, etc … s’attaquent davantage à la société qu’à l’actualité.

La caricature acquière au fil des années une place originale et particulière dans la presse française et sur le plan juridique.

Cette insolence suscite plusieurs interdictions de publication en 1961, 1966 et 1970.

Pour contourner cette « censure politique » les anciens d’Hara-Kiri lancent Charlie Hebdo, un mensuel de bandes dessinées, qui soutient de nombreuses causes : l’antiracisme, le féminisme, l’antimilitarisme et l’écologie politique.

Depuis 2006, Charlie Hebdo est attaqué en justice notamment pour ses publications de caricatures du prophète Mahomet.

Les journalistes de Charlie Hebdo subissent de nombreuses menaces de la part de musulmans qui les considèrent comme blasphématoires et offensantes.

Les locaux du journal sont incendiés en 2011.

Le caricaturiste Charb figure en 2013 sur la liste des onze personnalités recherchées mortes ou vives pour crime contre l’islam par un magazine anglophone d’Al-Qaïda.

Le 7 janvier 2015, l’attentat dans les locaux du journal satirique fait douze morts, dont huit membres de Charlie Hebdo.

Sur le plan judiciaire, quasiment toutes les actions en diffamation ou injure raciales engagées par des associations arabes et musulmanes contre Charlie Hebdo ont été vouées à l’échec.

Bien que les juges considèrent qu’une caricature représentant Mahomet soit de nature à outrager les adeptes de l’islam et que ce type de dessin est en lui-même choquant ou blessant pour les Musulmans, ils relaxent presque toujours le journal et les dessinateurs estimant que le contexte et les circonstances de la publication « apparaissent exclusifs de toute volonté délibérée d’offenser directement et gratuitement l’ensemble des musulmans » et donc « que les limites admissibles de la liberté d’expression ne sont pas dépassées ».

A titre d’exemple, le 12 mars 2008, la Cour d’appel de Paris a rendu un arrêt qui a confirmé le jugement du Tribunal de grande instance de Paris rendu le 22 mars 2007 dans l’affaire dite des caricatures qui a relaxé le journal du chef d’injure raciale. (Cour d’appel de Paris, 11e chambre, section A, 12 mars 2008, Philippe Val, Société Éditions Rotative / Union des organisations islamiques de France)

L’hebdomadaire Charlie Hebdo avait été poursuivi pour délit d’injures publiques envers un groupe de personnes à raison de sa religion, en vertu de la Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse après avoir publié des caricatures du prophète Mahomet.

Les juges ont rappelé que la liberté d’expression vaut « pour les informations ou idées accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes dans une société déterminée, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent ».

La Cour d’appel relève ensuite que la société française, laïque et pluraliste, exige « le respect de toutes les croyances » mais aussi « la liberté de critiquer les religions » puisque le blasphème n’y est pas réprimé.

Par ailleurs, la Cour d’appel estime, à l’instar du Tribunal de grande instance, que la communauté musulmane n’était pas visée dans son ensemble par les caricatures publiées par Charlie Hebdo, mais que seuls « les musulmans terroristes » l’étaient. 

Elle considère à ce titre qu’« aucun risque de confusion n’est créé entre les musulmans et les terroristes ».

Les dessins incriminés ne constituaient ainsi pas une injure ou une « attaque personnelle et directe dirigée contre un groupe de personnes en raison de leur appartenance religieuse ».

La juridiction d’appel poursuit en indiquant que l’hebdomadaire, en publiant ces dessins, «souligne, avec son esprit satirique bien connu mais de manière argumentée, le danger des fanatismes religieux [et] de l’instrumentalisation de l’islam à des fins politiques ».

Elle convient, comme la juridiction inférieure, que « le genre littéraire de la caricature, parfois délibérément provocant, participait de la liberté d’expression et de communication des pensées et des opinions ».

La Cour d’appel de Paris conclut que les caricatures litigieuses ont « participé au débat d’intérêt général sur la liberté d’expression ».

La jurisprudence française constante en la matière admet donc la licéité des caricatures du prophète Mahomet, quand bien même elles pourraient être considérées comme offensantes pour les musulmans car elles alertent sur les dangers des fanatismes religieux et l’instrumentalisation de l’islam à des fins politiques.

La liberté d’expression et l’humour au second voir au troisième degré, d’une caricature n’est donc pas limitée par le blasphème.

Cependant, le droit à la caricature n’est pas absolu. 

Avant l’attentat criminel dans les locaux de Charlie Hebdo, une vidéo faussement humoristique sur la vie du prophète Mahomet  » Innocence of Muslims »  a été diffusée sur le web.

Cette vidéo a donné lieu à des mouvements de constatation de masse dans tous les pays musulman.    

En réponse, Charlie Hebdo a décidé de publier une quinzaine de caricatures acerbes dans un numéro spécial.

Après l’attentat, un professeur de collège a été décapité en 2020 pour notamment avoir montré à ses élèves ces  caricatures du prophète Mahomet publiées par Charlie Hebdo, dont celle très grossière intutilée  » Mahomet une étoile est née « .

Tant que les juges n’auront pas eu l’occasion de débattre de la licité ou non de ces dernières caricatures le débat sera ouvert.  

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