Le délit pénal d’abus de confiance s’applique-t-il aussi au détournement de la clientèle d’une société ?
Le 22 mars 2017 la cour de cassation a jugé que le délit pénal d’abus de confiance s’applique aussi aux informations relatives à la clientèle d’une société détournées par un employé (Cass. Crim. 22 mars 2017, n° 15-85.929).
En l’espèce, une société spécialisée dans la fourniture de services téléphoniques a porté plainte et s’est constituée partie civile du chef d’abus de confiance à l’encontre de son ancien directeur d’agence, dénonçant des faits de détournement de clientèle commis par celui-ci ainsi que par la société gérée par l’un de ses anciens salariés.
Pour mémoire, l’article 314-1 du code pénal dispose que :
« l’abus de confiance est le fait par une personne de détourner, au préjudice d’autrui, des fonds, des valeurs ou un bien quelconque qui lui ont été remis et qu’elle a acceptés à charge de les rendre, de les représenter ou d’en faire un usage déterminé ».
A la différence du vol qui implique la soustraction de l’objet, l’abus de confiance ne suppose pas la soustraction mais le détournement de la chose par celui à qui elle avait été remise car il l’avait reçue à titre de mandataire, à titre de dépositaire, en vertu d’un certain contrat (contrat dit fiduciaire, c’est-à-dire impliquant une confiance particulière envers le contractant), et en avait la possession précaire ; il devait donc se comporter sur cette chose comme un mandataire ou un dépositaire doit se comporter mais, à un moment donné, il a interverti son titre et s’est comporté en propriétaire de la chose ; il se l’est appropriée.
Du fait qu’il y avait eu, à la base de sa possession précaire, une remise volontaire de la chose par le propriétaire aujourd’hui dépossédé, on ne peut parler de soustraction.
Celui qui a ainsi interverti son titre, qui se comporte sur la chose comme un propriétaire alors qu’il n’en était que possesseur précaire, a abusé de la confiance qui lui avait permis de la recevoir, d’où la dénomination d’abus de confiance.
Au cas présent, la cour de cassation a constaté que la captation de clientèle avait pour but de dépouiller l’ancien employeur d’une partie de sa clientèle au profit d’une nouvelle société et confirmé la condamnation des deux prévenus pour abus de confiance.
Ainsi la haute cour a posé le principe selon lequel :
« constitue un abus de confiance le fait, pour une personne, qui a été destinataire, en tant que salariée d’une société, d’informations relatives à la clientèle de celle-ci, de les utiliser par des procédés déloyaux dans le but d’attirer une partie de cette clientèle vers une autre société ».
Il résulte de cette décision que le terme général de « bien quelconque » prévu dans la loi doit être entendu comme tout bien susceptible d’appropriation de nature corporelle ou incorporelle, conférant à l’infraction un vaste domaine d’application.
Il en est ainsi, de la clientèle car celle-ci constitue un élément important du fonds de commerce d’une société commerciale, ayant une valeur patrimoniale, qui peut être cédé mais aussi détourné.
La clientèle entre donc dans le champ d’application de ce texte.
En effet, les employés d’une société commerciale sont seulement les dépositaires des informations concernant les clients de leur employeur et peuvent faire l’objet de poursuites du chef d’abus de confiance s’ils utilisent lesdites informations à leur profit personnel ou pour une structure qu’ils ont créée pour détourner cette clientèle.
L’absence de détournement préalable de fichiers électroniques ou de tout autre support écrit relatifs à la clientèle est indifférente à l’existence de l’infraction pénale.
De même, la présence ou non d’une clause de non concurrence valide est sans effet sur le caractère répréhensible de tels agissements de détournement d’informations relatives à la clientèle.
En outre, il n’est pas exigé que de tels agissements interviennent en cours d’exécution d’un contrat de travail.
A titre d’exemple et pour mémoire, la Cour de cassation a déjà eu l’occasion d’appliquer le délit d’abus de confiance en cas de :
– détournement de numéro de carte bancaire (Cass. Crim. 14 nov. 2000, n° 99-84522),
– exploitation d’une idée de projet de réalisation d’une borne informatique (Cass. Crim. 22 sept. 2004, n° 04-80285) ;
– utilisation d’une connexion internet fournie dans le cadre du travail (Cass Crim. 19 mai 2004, n° 03-83953) ;
– usage de codes d’accès informatiques (Cass. Crim. 19 mars 2014, n° 12-87416).
Enfin, pour mémoire, il convient de souligner que le délit d’abus de confiance est considéré par la jurisprudence comme un délit occulte qui conduit au report du point de départ du délai de la prescription de l’action pénale et de la poursuite au jour où le délit “est apparu et a pu être constaté”.
Ce report du point de départ du délai de prescription se justifie par le fait que, dans le cadre de la collision du délit d’abus de confiance, les fonds, valeurs, biens détournés ou dissipés ont été remis à l’auteur de l’infraction par la victime dans le cadre de relations de confiance, le plus souvent en exécution d’un contrat.
L’auteur étant en possession de la chose, le détournement n’apparaît pas forcément et la victime peut n’avoir aucune raison de douter que l’auteur des faits s’est livré à une appropriation ou un usage frauduleux.
A ce caractère occulte, dont il résulte pour les victimes une difficulté pour appréhender les faits, s’ajoute, parfois, une dissimulation “volontaire” des agissements frauduleux.